"Un livre qu'on quitte sans en avoir extrait quelque chose est un livre qu'on n'a pas lu."

[Antoine Albalat]

janvier 31, 2012

Du singe à l'homme et de l'homme au singe - GENESIS

GENESIS de Bernard Beckett


     Le livre entre les mains, je trouve la couverture originale. Elle me rappelle les vieilles cartes que l’on trouvait dans les paquets de Kellogg’s : lorsqu’elle bouge, les lumières vacillent et changent de couleurs.  Quant au résumé apéritif, je l’ai lu après avoir fini la « première pause » du roman, car je ne comprenais pas où voulait en venir l’auteur. Le fil conducteur est très simple, mais j’ai l’impression de démarrer l’histoire avec trop peu d’informations : « où et pourquoi ? » Genesis  semble diviser en périodes de temps que compose l’examen, mais on ne comprend pas le but, la nécessité et la société dans laquelle s’inscrivent ces épreuves.  Bien que l’on découvre progressivement durant la « Première heure » quelques informations importantes du cadre spatio-temporel, il manque toutefois des points d’attache qui rassureraient le lecteur. Sur la quatrième de couverture, je pense avoir découvert des informations importantes : « La fin permettra-t-elle au lecteur de boucler la boucle ? » Ce résumé qui, bêtement, informe le lecteur d’une surprise à la fin – autrement dit « quoi ? » et « où ? » - semble de mauvais goût.


« ATTENTION vous serez surpris à la fin du livre »



Deuxième heure
« Pour qu’une société fonctionne, peut-être y a-t-il besoin d’un certain niveau minimum d’empathie. » p.44


      La deuxième partie du bouquin était nettement plus intéressante. Certaines questions citées plus haut ont eu leur réponse : le but de l’examen et l’endroit où a grandi Anaximandre. Le lien qui unit Périclès et l’héroïne commence à s’éclaircir. On comprend également qu’elle est spéciale et que cette marginalité lui permettra d’accéder, sans doute, à un poste important : celui qui gouverne et pense pour les Autres. 
       Durant cette « deuxième heure », j’ai davantage apprécié le personnage d’Adam qui défend des idées utopiques : « […] le bien ne s’atteignait que par l’introspection. » Comme l’héroïne, il est intelligent et marginal. Il se bat pour ses idéaux, quelles que soient les conséquences de ses actes. Je respecte ça.
        En outre, à la fin du chapitre, Adam reçoit comme punition d’être le nouveau compagnon d’Art. Je pense que ce robot-ordinateur est en réalité le singe reproduit sur la première de couverture. Peut-être est-il lié à la surprise finale ? Quoi qu’il en soit, cette deuxième partie m’a réconcilié avec l’œuvre. 


« Beaucoup de gens influents croyaient toujours que la République ne pouvait être sauvée que par la création d’un nouveau robot suffisamment perfectionné pour qu’on lui confie les tâches des Ouvriers et des Soldats. Ils considéraient que seule la base avait des raisons de se révolter, et qu’une société stable était une société où aucun humain ne se trouverait en bas de l’échelle sociale. […] »


Troisième heure
« Adam avait commencé à parler à Art. C’était son erreur. Il ne pouvait à la fois parler à Art et continuer à ne voir en lui qu’une machine. » p.107


       Cette phrase résumé bien la troisième partie du roman. Un combat de ping-pong où la balle serait une réponse qui amène une question ; cette question amène ensuite une réponse. Tant que le joueur a la force de riposter, la balle peut indéfiniment rebondir d’un bout à l’autre de la table. Enfin, presque. Car l’Homme, avec toutes ses faiblesses, est-il capable de rivaliser contre une machine dotée de raison ? En somme, Art devient le personnage le plus intéressant de ce chapitre : il démontre à Adam - et au lecteur lui-même – qu’une machine (ou plutôt cette machine-là) est également dotée d’une âme, d’une conscience et de sens. Bien que tous ces concepts sont déconstruits et reconstruits par la machine afin qu'éclate au grand jour la vérité.   Car, un concept n’est qu’une représentation mentale de l’esprit et qu’une représentation mentale, par sa connotation la plus élémentaire, est abstraite ; ce qui rend mes propos paradoxaux je l’avoue, mais je ne suis pas à l’aise avec la philosophie.


« Vous autres humains, vous vous vantez d’avoir créé le monde des idées, mais rien n’est plus faux. L’idée pénètre le cerveau, et elle le réarrange pour qu’il lui corresponde le mieux. Elle y rencontre d’autres idées déjà présentes, elle les combat ou forme des alliances. […] L’idée qui réussit, c’est celle qui va d’esprit en esprit, qui envahit de nouveaux territoires, et qui mute au passage. […] Seules les plus fortes survivent. »  p. 122


     Un autre point qui rend, de surcroît, cet épisode intéressant est qu’il est un travail de construction par Anaximandre. Autrement dit, il n’est qu’une vision subjective de l’héroïne en dépit de la recherche objective de l’historienne, car cette étude est le fruit de sa propre réalité. D’ailleurs, les examinateurs sont surpris qu’elle apporte une vision nouvelle du Grand Dilemme. Cependant, n’est-ce pas le but de cet examen qui lui permettra peut-être de rentrer à l’Académie ? 


       Avant de clore cette partie, mon hypothèse formulée à la fin de la 2e partie se confirme : l’Académie sélectionne les futurs penseurs. Anaximandre succèdera-t-elle à Adam ? 


Quatrième heure

« Ce que tu dis, c’est ce que tu penses. » p. 159


     La chute est certes surprenante, mais puisqu’elle avait été annoncée sur la quatrième de couverture, l’effet de surprise s’est estompé. Toutefois, le retournement de situation était bien pensé, car il était dans la continuité de mes hypothèses de lecture tout en remodelant l’image que je m’étais construite du roman.
     La construction de ce roman est originale puisque l’on découvre progressivement des éléments importants du récit qui nous permettent de mieux situer l’histoire dans un contexte spatio-temporel, mais aussi historique. Ainsi, le lecteur peut s’accrocher à des éléments narratifs concrets afin de mieux visualiser et de mieux comprendre la société futuriste imaginée par Beckett. Ensuite, la chute finale vient bouleverser cette vision, mais ne contredit pas les points d’attache. Autrement dit, l’Académie sélectionne des jeunes qui ont un certain potentiel, mais pour les empêcher de transmettre une idée qui, à l’instar d’un virus, se propagerait d’une tête à une autre et détruirait ainsi cette société paisible dont les fondements resteront secrets.