Nathalie vient de se marier avec François. Ils vivent ce qu’on peut appeler le bel amour, car ils s’aiment et se laissent bercer par le temps, comme au premier jour. La succession des scènes est rapide : j’aime ce rythme soutenu où l’on passe d’un épisode à un autre, d’un présent à un futur. En fait, ça me donne l’impression de mieux connaître ce nouveau couple qui pourtant n’est déjà plus si jeune.
La vie défile et soudainement, le drame tombe de nulle part. Oui, je ne l’ai pas vu venir, car à cent vingt-cinq kilomètres sur l’autoroute, peu de personnes peuvent voir le piège se refermer.
« Au moment de partir, il était sûrement déjà un fantôme. Une forme humaine certes, mais qui ne produit que du silence, car la mort s’est déjà installée. » p.36
Un sentiment lourd, nous avons de l’empathie pour Nathalie, car nous avons tous une fois ressenti ce manque terrible où chaque son, chaque image et chaque ombre discrète nous rappelle la personne qui ne reviendra plus ; soit parce qu’elle est partie, soit parce qu’elle ne nous aime plus. Que ce soit l’un ou l’autre, ce vide à l’intérieur de notre âme forme un gouffre jusqu’à la tristesse la plus profonde. Parallèlement, les destins se croisent et nous oublions quelquefois que nos actes auront des répercutions sur la vie des autres ; et leur tour, les destins modifiés influenceront d’autres vies. C’est pourquoi Charlotte, petit brin de femme, voit également sa vie basculer par la culpabilité : un accident hasardeux que nous espérons tous un jour ne jamais voir arriver. À ce stade de la lecture, j’aimerais voir d’autres destins basculer et j’aimerais voir Charlotte affronter Nathalie, car elles ont toutes les deux un présent de joie à rattraper.
Charles est un personnage peu commode. Il essaie de séduire Nathalie, de profiter de sa peine afin d’arriver à ses fins. Je trouve ça léger de la part d’un homme marié, car il manque cruellement d’empathie pour cette femme qui a perdu son mari. Sa tentative est tombée à l’eau, mais que ce soit Nathalie ou le lecteur, nous n’y croyions pas. Quant à Markus, son collègue, sa maladresse me rappelle celle de François. Un simple baiser lui fait perdre son sang-froid et ses essais désespérés afin de charmer Nathalie sont vains.
Le passage où il oublie le code de la porte de son immeuble me rappelle les innombrables fois où j’ai également oublié un numéro composé de nombreuses fois. Comme le dit si bien l’auteur, on vit à une époque où nous devons retenir une série de codes pour accéder à nos e-mails, pour allumer notre téléphone, pour retirer de l’argent à la banque, etc. Pour conséquent, tous ces chiffres peuvent s’emmêler dans notre tête et un code que nous avons composé des milliers de fois se retrouve, pour une raison inexplicable, sur le bout de notre langue.
Le parallèle avec cette peinture très célèbre du symboliste autrichien est très intéressant. En effet, la transformation psychique de Markus lorsque Nathalie lui vole un baiser reflète bien la quête humaine du bonheur. Il a toujours eu ce manque d’affection dû au peu d’intérêt que lui portent les femmes. Ce baiser lui rappelle la recherche du corps féminin |
« Comment aller vers les rêves quand on vient de le quitter. » p.110
Le dîner de Nathalie et Markus était à la fois drôle et touchant. La marginalité de Markus était vue comme une gaucherie, une timidité, un point qu’on n’arrive pas à placer au centre d’un cercle et pourtant, elle lui a permis de passer une agréable soirée loin de son passé. Je l’ai trouvé, comme Nathalie, drôle et hypnotisant. Ce rendez-vous, je l’espère, ne sera pas le dernier.
J’ai été surpris par l’attitude soudaine de Markus. Toutefois je le comprends, car je suis une personne qui accorde également de l’importance aux signes. Que ce soit un vol d’oiseaux ou une tache rouge, ils peuvent révéler au grand jour des souvenirs, des sentiments cachés. Et lorsqu’ils surgissent de nulle part, nous avons l’impression de nous réveiller dans une atmosphère différente. Ensuite, je me suis beaucoup amusé à découvrir ce petit jeu entre eux. Je sentais une attirance forte des deux partis, et j’attendais le moment où la vérité allait éclater. Je savais que le rejet ambigu de Markus allait attirer Nathalie, car ce passage me rappelle un vieux conseil de ma grande sœur : « C’est en les rejetant qu’elles te courront après. »
Le narrateur omniscient nous permet de voyager d’une tête à une autre. Ainsi, nous avons l’impression de mieux connaître ces personnages et mieux comprendre leurs réactions si bien que lorsque Charles décide de convoquer Markus, le tableau suspendu dans le temps où chaque personnage a une image bien différente de l’autre est excessivement drôle. Nous avons encore cette idée, soulignée au début du roman, des destins qui se mêlent et s’influencent.
« Comment un tel homme pouvait-il diriger l’entreprise ? Mais le plus stupéfait des deux était bien sûr Charles. Comment un tel homme pouvait-il diriger le cœur de Nathalie ? » p.151
L’invitation de Charles à dîner avec Markus me paraît dangereuse. Le monologue intérieur du patron exprime une haine, une jalousie insupportable vis-à-vis de son employé suédois. Je suis très curieux de découvrir les véritables intentions du patron – s’il y en a eu une avant le dîner -, et je crains un coup bas. Toutefois, le moment venu, je n’ai rien vu venir : Charles est à son tour charmé par son invité. Il n’est plus l’homme hypocrite, mais un homme nostalgique. En effet, il ressasse son passé devant cet homme impressionnant. Je trouve qu’il a tort de se dévaloriser, car il voit en Markus un personnage d’exception alors que Markus – lui-même – se sous-estime. Alors que devons-nous penser des uns des autres ? Eh Bien ! que personne n’est parfait ! Nous avons tous une vision subjective de la réalité : notre réalité.
« Sauf si j’ai faim, et que je décide de manger les miettes en t’attendant. » p.171
La suite des évènements annoncent une chute dramatique. Les relations entre les personnages comment à s’étouffer : le patron, les collègues, tous se mêlent de cette relation comme s’il y avait des critères précis à respecter lorsque nous choisissons un être avec qui partager notre vie. La citation ci-dessus résume bien la situation dans laquelle s’engouffrent les deux héros, car l’un des deux devra se sacrifier pour l’autre, mais le feront-ils à ce stade de leur relation ?
La réponse était bien plus simple. Lorsqu’on s’aime à deux, il n’y a pas besoin de se sacrifier pour l’autre, car le choix que nous prenons est un chemin, une quête vers le bonheur. C’est pourquoi la question ne se posait pas pour ces deux tourtereaux, la fuite du présent était la solution pour qu’ils prennent une distance. Dans ce tableau immuable où le temps du passé et celui du présent forment un paysage éternel, ils aperçoivent enfin le chemin de la délicatesse.
I |
l n’y a pas si longtemps, j’ai lu un article sur Internet où l’on abordait la qualité littéraire française du XXIe siècle. L’auteur affirmait que le prestige de la capitale de la culture était bel et bien terminé. L’époque des grands auteurs français était révolue et qu’aujourd’hui, le marketing littéraire n’avait jamais été aussi présent. Alors aujourd’hui, j’ai envie de lui répondre : « Vous avez tort monsieur, car la qualité d’un bon livre ne se mesure pas au nombre de ventes ou au nombre de traductions. Un bon livre, c’est avant tout un voyage sentimental et spirituel propre à chacun ; mais pour y parvenir, il ne faut pas choisir n’importe quel guide, car – comme dans toute chose – il y en a des bons et des mauvais. »
David Foenkinos est un auteur que je ne connais pas. J’ai retrouvé dans ce livre une qualité artistique qu’on a peu souvent l’occasion de découvrir. Même si l’histoire paraît, aux premiers abords, peu originale, l’auteur amène avec subtilité quelques touches d’humour, de réflexion, et d’empathie. Toutes ces phrases qui disent la vérité et qui vous font sourire.
Les personnages sont vivants, expressifs et doués de pensées fortes. Nous comprenons leurs choix, leurs peines et leurs sourires. Nous vivons avec eux.
L’idée que le roman tourne autour d’un seul mot, la délicatesse, amène divers aspects de la vie quotidienne. En effet, nous découvrons – pour ma part – les différentes acceptions de ce mot. Quelles soient positives ou négatives, ce terme est présent constamment : dans nos relations avec les autres ou avec soi-même. Quelquefois nous sommes délicats et dans d’autres cas, nous manquons de tact ; il nous arrive à tous d’être en délicatesse avec autrui ou de faire le délicat. Chaque personnage apporte un sens différent et donc, l’illustre. La beauté de ce mot n’a finalement aucune limite puisqu’il est abstrait et qu’il est à la fois positif et/ou négatif, universel et/ou individuel. Pourrait-il être aisément traduit dans d’autres langues ? Je ne pense pas, car la délicatesse engendre des comportements propres à notre culture, à notre vision des relations humaines. Être délicat pour un Africain doit sûrement correspondre à d’autres intentions que les nôtres.
Je ne suis pas un fervent admirateur des histoires d’amour, mais pour une fois, j’ai pris beaucoup de plaisir à partager ces moments tendres. À vrai dire, cette année, j’ai lu beaucoup de livres de science-fiction pour le cours de littérature et cet univers m’a permis de changer de point réflexif. Ici, l’auteur n’aborde pas une vision du monde, une anticipation sociopolitique, mais les relations humaines dans toute leur beauté et toute leur horreur ; l’art sentimental à l’état pur. La littérature française a toujours eu ce don de toucher les émotions et de les nuancer. N’est-ce pas une qualité que nous retrouvons chez les latins ? Cette capacité à graduer les sentiments et à le désigner par un mot. Oui ! c’est une chance, pour nous, de parler cette langue si riche afin de transmettre ce sentiment à la fois si flou et si fort. Finalement, n’est-ce pas ça le don de notre littérature ? La langue française dans ses mots les plus sensibles ?
J'aime beaucoup ton analyse (très) recherchée et particulièrement ce que tu dis à propos de l'auteur qui arrive à toucher avec une histoire banale décrite de façon originale.
RépondreSupprimerTrès belle analyse en effet... mais pour ma part, le roman n'a rien "déclenché". Je ne conteste rien, tes arguments sont tout à fait valables et étayés, mais mon sentiment est autre... Ah la subjectivité !
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