« Depuis tout à l’heure, l’aventure était entrée dans ma vie. J’avais connu l’angoisse, les décisions rapides, les surprises dramatiques. Je n’avais plus besoin de Jules Verne.
Plus rien, jamais, ne m’étonnerait. » p.38
Le récit de Claude Raucy n’est pas une histoire de guerre telle que nous avons l’habitude d’en lire. Nous pénétrons dans l’univers d’un enfant juif qui s’enfuit de Bruxelles pour se réfugier à la campagne. Il s’émerveille encore devant le monde malgré le danger qui le guette jusqu’au jour où son ami, Jacques, le doigt tendu vers sa maison, le dénonce. À partir de cet évènement, Pierre devra grandir précipitamment.
L’atmosphère grise des temps de guerre n’est pas présente au début du roman, car nous sommes en 1941 et lorsqu’elle est déclarée, les hommes fuient vers des lieux sûrs. Pourtant, dans un monde où le système s’effondre et où tout s’achète, même une parole, nous révélons notre véritable nature : celle de bien ou celle du mal. Parmi les mauvais, il y a les boches nazis (ce surnom me fait rire, car c’est ainsi que mon père les appelle également), les autres qui sont prêts à agir pour eux et il y a surtout Jacques. Parmi les bons, il y a les résistants, les familles de résistants et les vieux messieurs musiciens qui recueillent les enfants égarés.
Le voyage de Pierre est ironiquement extraordinaire si bien qu’il voyage d’un bout à l’autre sans que nous sachions comment s’est fidèlement déroulé son voyage. Il y a bien quelques anecdotes par-ci et par-là, mais je trouve ce passage très saccadé. Le héros se retrouve à Paris après avoir fui Saint-Mard et a été recueilli par un vieux monsieur aux airs sympathiques.
Même si Pierre a perdu son enfance le jour où Jacques l’a pointé du doigt, il essaie de continuer à vivre et de découvrir son adolescence. Cependant, je suis légèrement agacé par ce personnage de quinze ans qui laisse un vieux monsieur jouer du violon toute la journée pour acheter quelques miettes à manger. Je comprends qu’il ait envie de rencontrer d’autres jeunes gens dont Rebecca, mais à cet âge-là et à cette époque-là, il devrait avoir d’autres chats à fouetter. Il est juif et son ami est Tzigane. Ils sont donc tous les deux recherchés par la Gestapo. Pierre pourrait être plus discret qu’un troubadour dans le centre-ville de Paris ! Et puis, les Allemands ont, une nouvelle fois, débarqué dans sa vie. Ils ont emmené Rebecca et ils ont fouillé l’appartement de François. Retournement de situation dans une vie qui commençait à se réconforter. Pour la deuxième fois, Pierre survit grâce à une tabatière. Mais cette fois, il ne va pas fuir, il va rechercher son vieil ami. J’ai enfin l’impression qu’il devient un homme.
Lorsqu’il l’a retrouvé, ils ont dû rester neuf mois dans une cave à attendre. Renfermés quasiment une année, sans voir la lumière du jour, ces deux hommes auraient dû devenir insensés. En outre, je comprends la joie qu’ils ressentent au moment où les alliés se rapprochent. L’extase de la liberté, l’odeur d’une nouvelle journée qui commence, mais cet épisode est passé trop rapidement – comme beaucoup d’autres. Il m’arrive de rester chez moi, mais au bout de quarante-huit heures, je sens déjà l’impatience de voir le monde. Alors quelles sont les conséquences de ces mois passés sous terre ? Quelles sont les idées noires qui ont dû traverser leur esprit ?
Et puis, une page se tourne, et un nouvel évènement dramatique surgit. Quand François est tombé, je m’attendais à une scène qui exprimerait la perte d’un être cher, d’un homme qui, finalement, a passé le reste de sa vie et de sa vieillesse à protéger un jeune garçon juif. Alors pourquoi la haine qu’il éprouve contre Jacques surgit-elle à ce moment-là ? Cette façon de transférer un sentiment d’une scène à une autre est un comportement typique de l’adolescent.
Rebecca et François, les deux personnages qui ont permis au héros de survivre pendant cette période de guerre. Ils lui ont apporté de la nourriture, de l’amour, de l’écoute, de l’affection. Mais lorsque les pages se tournent, ils ont disparu, ils sont morts. Pierre retourne à sa vie naguère mais il ne la regarde plus avec des yeux d’enfant, mais avec ceux d’un homme qui a assez souffert pour ne plus avoir peur du monde. Ensuite, il retrouve sa famille saine et sauve. Comme si la guerre n’était plus qu’un souvenir, car ceux qui y étaient présents ne font plus partie du monde. Trop de douleur, trop de mal.
Le dernier chapitre est évidemment celui qu’on attendait depuis une heure : la confrontation entre Jacques et Pierre. Dés les premiers instants, j’ai souhaité qu’il ne fasse rien. La guerre est le paroxysme de la douleur. Et là, Pierre a prouvé qu’il n’était plus l’enfant du roman : il avait le pouvoir de condamner Jacques, et je pense que ce dernier le savait également. Mais Pierre s’est montré plus digne, il l’a laissé vivre ; sans doute n’avait-il pas le droit de décider, sans doute n’avait-il pas envie de ressembler aux nazis ? Quoi qu’il en soit, il a choisi la vie après la mort.
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