"Un livre qu'on quitte sans en avoir extrait quelque chose est un livre qu'on n'a pas lu."

[Antoine Albalat]

février 26, 2012

À la recherche du fantastique

              Dans le cadre d’une tâche-problème sur le récit fantastique, je me suis mis à découvrir quelques classiques du genre. D’une part, j’ai lu quelques romans afin de m’imprégner de l’atmosphère particulière et d’autre part, je voulais m’entourer de quelques œuvres afin de mieux cerner ce genre littéraire.
               
                J’ai,  bien évidemment, commencé par les romans que je possédais déjà. Je me suis donc tourné vers L’Étrange Cas du docuteur Jekll et de M. Hyde. Comme beaucoup d’autres, l’histoire effrayante de Stevenson ne nous est pas inconnue ; il existe une multitude de reprises et de parodies. Je citerai celles qui m’ont marqué durant mon enfance, c’est-à-dire les Looney Tones et les Simpson.
                C’est pourquoi, avant d’avoir lu le roman, j’avais déjà une idée à la fois vague et précise de l’histoire. En effet, je connaissais déjà bien les tourments du docteur, mais l’histoire originelle, quant à elle, restait inexplorée. 

                Est-ce réellement un récit fantastique puisque l’inexplicable aura certainement une explication scientifique ? 

                Après quelques lignes, j’étais déjà surpris de découvrir le héros, le notaire M. Utterson, un ami de l’honorable docteur Jekyll. Je pensais découvrir un antihéros victime de ses propres expériences, au lieu d’un homme intelligent, bourgeois et assoiffé de vérité. C’est ainsi que ce roman fantastique prenait l’allure d’un policier : le notaire est désireux de démasquer le coupable de tous ces méfaits. Malheureusement, la réponse de ses recherches a rendu le récit tellement célèbre que je connaissais déjà le fin mot de l’histoire après quelques pages. La comparaison des différentes lettres, le comportement étrange de M. Hyde, les disparitions et les isolements du docteur, tout confirmait l’hypothèse : M. Hyde et le docteur Jekyll est une seule et même personne.
                Cette chute, tristement découverte prématurément, aurait pu ralentir ma frénésie de lecture, mais l’ambiance était si obscure, le récit était si ensorcelant que je me suis pris au jeu. En effet, l’écriture était fluide et le vocabulaire si bien choisi qu’on se plonge et qu'on se noie dans un univers ténébreux où se mélangent les crimes, les secrets et le mal. On imagine sans cesse des rues  et des pièces tristement éclairées par des réverbères et par des lampes à pétrole où des ombres espiègles pourraient nous observer. Alors même si l’on a l’impression que le héros tourne en rond à rechercher un meurtrier que l’on connaît déjà, on prend du plaisir à s’imprégner de cette ambiance qui, personnellement, n’arrive pas à la cheville de grands auteurs contemporains tels que Stephen King. 
                « Je dis bien « il » - comment pourrais-je dire « je » ? Car ce fils de l’enfer n’avait rien d’humain ; rien ne l’habitait que la peur et la haine. » P.118
                Le dernier chapitre, où le narrateur devient le docteur Jekyll, nous découvrons un combat sans merci entre le bien et le mal. Un combat qui pose une question de conscience, car nous avons tous une petite voix dans notre tête qui nous répète sans cesse de bien agir et parfois, nous avons une autre petite voix qui nous incite au contraire.   
« Tout le malheur du genre humain provient de ce que ces deux monstres incompatibles ont été liés l’un à l’autre – de ce que dans le sein torturé de la conscience ces pôles jumeaux se livrent une lutte sans merci. Comment, dès lors, les dissocier ? » P.98

                À la fin du roman, j’en ai conclu qu’il s’agissait bien d’une œuvre fantastique, par son atmosphère, son vocabulaire et le sentiment de peur omniprésent. Toutefois, l’étrange, qui engendre l’angoisse et le doute, a une explication scientifique ; et l’étrange scientifique est propre au récit de science-fiction. Par conséquent, je dirai que l’œuvre de Stevenson est un récit fantastique, mais qui n’écarte pas les premières portes qui s’ouvrent au SF.

                Dans la même veine, j’ai lu L’île du docteur Moreau, car ce récit se classe tantôt dans le récit fantastique, tantôt dans le récit de science-fiction. Et puisque j’avais choisi, entre autres, ce roman pour émettre des hypothèses de lecture dans ma séquence sur le fantastique, je me suis penché sur cette œuvre afin de trancher moi-même.
                Encore une fois, L’île du docteur Moreau est tellement connue que je mettais déjà fait une image assez précise : une île inconnue, un docteur mystérieux, des personnages hideux, et des bruits furtifs au-dessus de notre épaule.
                Au début du roman, je commençais à le classer dans le fantastique, car Prendrick, le héros rencontre le terrifiant et le mystérieux. En effet, une fois arrivé sur l’île, il se retrouve confronté à des hurlements de bêtes torturées, à des domestiques mi-hommes mi-bêtes, à des bêtes dangereuses qui le poursuivent, la nuit, dans une forêt tropicale. L’ambiance est également sombre, car à la tombée de la nuit, il n’y a pas grand-chose pour les éclairer ; surtout en pleine forêt. De plus, la passage de la réalité à un lieu fermé et étrange - ici, une île - est un thème récurrent dans le fantastique.
« Plus loin, à l’ombre de quelques fougères géantes, je tombai sur un objet désagréable : le cadavre encore chaud d’un lapin, la tête arrachée et couvert de mouches luisantes. Je m’arrêtai stupéfait à la vue du sang répandu. L’île, ainsi, était déjà débarrassée d’au moins un de ses visiteurs. » p.52
                Mais rapidement, l’histoire tourne au désastre scientifique : entre les arbres, entre les rochers vivent une multitude de monstres.  Ces êtres hideux et repoussants sont la conséquence d’expériences cruelles opérées par le docteur lui-même. Même s’ils ont perdu de leur capacité cognitive, ces hommes-bêtes sont dotés du langage et peuvent communiquer de manière rudimentaire. Rassemblés dans des cavités rocheuses,  ils forment une sorte de tribu obsédée par La Loi. En effet, cette microsociété partage des valeurs communes le plus souvent liées à la peur de la maison de la souffrance (la cabane du docteur Moreau). Par conséquent,  ce roman fantastique prenait des allures de science-fiction. En effet, il critique de nombreux aspects de la société victorienne en pleine évolution technique et de surcroît, scientifique : certaines pratiques de recherche, les dangers de la science, le darwinisme, l’homme et l’animal,  voire même la minorité asservie par la peur de l’autorité.
                En outre, je ne comprends pas pourquoi l’éditeur a écrit sur la quatrième de couverture : « Un grand classique du roman fantastique par l’auteur de La guerre des mondes et de L’homme invisible. » alors que le roman se trouve clairement à la frontière de deux genres littéraires. 

1 commentaire:

  1. "(...)on prend du plaisir à s’imprégner de cette ambiance qui, personnellement, n’arrive pas à la cheville de grands auteurs contemporains tels que Stephen King." Je suis d'accord... mais nous avons affaire ici au précurseur du genre, sans lequel King n'aurait peut-être pas écrit...
    J'aime ton analyse de genre, ces hésitations sont légitimes, nous en reparlerons Brice !

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