...
En
premier lieu naquit la culture orale, la culture de la parole, dans le désert
et dans le veld.
Apparurent ensuite les
pictogrammes, puis les symboles, dans les temples et les bazars des villes, et
ce fut le début de la culture écrite, suivie un peu plus tard, dans les
universités et sous les clochers des jeunes nations, de la culture de
l’impression. Ces trois périodes – celles de la culture orale, de la culture
écrite et la culture imprimée – ont toujours été considérées comme les étapes
primordiales du développement humain.
Mais nous sommes entrés
dans une ère nouvelle. Nous incarnons l’homme nouveau. Nous vivons désormais à
l’ère de la culture onirique, la culture des rêves.
Et nous sommes la nation
des rêves. Nous sommes des voyants. Nous sommes des faiseurs de miracles. Nous
nous exprimons par des visions. Nos messages sont un vol de colombes jailli du
chapeau d’un magicien. Il nous suffit de vouloir et de tendre la main, et nos
désirs se concrétisent sous nos yeux. Nous sommes une race de sorciers, d’enchanteurs.
Nous sommes l’Atlantide. Nous sommes l’île magique de Mu.
Tout ce que nous pouvons
souhaiter nous appartient.
Nous sommes à l’ère de la
culture onirique. Et nous, l’Amérique, incarnons la nation de tous les rêves.
pp. 152-153
« Fais de ton rêve une RéalitéTM »
Je
vous souhaite la bienvenue en Amérique, cette république dominée par des
industries capitalistes. Elles ont créé l’Interface, une puce qui est
directement implantée dans le cerveau de la jeunesse américaine afin qu’elle
puisse mieux appréhender la société formatée par cette technologie. De quelles façons ?
Elles tressent un profil de chaque consommateur en vue de lui envoyer des pages
publicitaires et propagandistes pour qu’il puisse assouvir directement ses
besoins. N’est-ce pas merveilleux ?
Titus,
un jeune garçon bourgeois, voyage avec ses amis sur la Lune pour la première
fois. Il y rencontre Violet, une adolescente mystérieuse. Inopportunément, leur
Interface est piratée dans une discothèque. Après une réclusion de quelques
jours, ils reprennent le cours de leur vie sur Terre. Titus continue à
fréquenter Violet dont il est tombé amoureux. Elle essaie tant bien que mal
d’intégrer le groupe de Titus, mais sa marginalité la laisse à l’écart de la
bande. Elle n’arrivera jamais à ouvrir les yeux de ces adolescents aveuglés qui
vivent pourtant dans un monde de crimes économiques, de pollution, de
surconsommation et même d’ethnocentrisme (Le
Troupeau aveugle, John Brunner).
Dès
les premières lignes, j’ai été désappointé par l’univers évoqué : des
personnages caricaturaux qui se rendent dans une discothèque sur la Lune - cette
proposition sonne comme un playback. L’auteur décrit Calista la blonde et
manipulatrice, Link le laid et riche, Marty le meilleur
dans tous les domaines et le héros, Titus, le cool silencieux. Bref, la bande
d’amis que l’on retrouve dans quasiment tous les sitcoms est au rendez-vous.
Heureusement,
l’auteur parsème progressivement son récit de petits détails annonciateurs tels
les manifestants qui luttent contre l’Interface ou l’attitude apathique de Loga
qui ne se soucie pas réellement de l’état dans lequel se trouvent ses amis
après le piratage de la discothèque. Elle est le premier exemple de l’égoïsme
qui revêt chaque personnage conditionné par cette société à la recherche du
bonheur personnel et immédiat (Le
meilleur des mondes, Aldous Huxley). De
plus, l’Interface est un cercle vicieux, car même si les utilisateurs ont
conscience qu’elle les manipule, ils savent parfaitement qu’ils en ont besoin
pour vivre dans ce monde (p. 54).
En effet, elle leur permet d’avoir accès à tout ce qu’ils veulent, de
communiquer avec tout le monde sans avoir à parler, de rechercher des informations en cas de
besoin et de créer des emplois si bien qu’ils n’ont pas envie de se rebeller
contre cette technologie ; elle leur facilite simplement la vie à tous
points de vue.
Malheureusement,
ils ne se rendent pas compte à quel point elle les conditionne (pp.100 - 117) :
elle influence leur façon de penser et de consommer (p. 100 – Le meilleur des mondes, Aldous Huxley).
Elle régit à elle toute seule un monde pragmatique. Petit à petit, ils perdent
leur faculté de parler ; le langage des mots s’appauvrit (p.141 – 1984, Georges Orwell). Ils oublient
également l’Autre parce qu’ils sont habitués à ne penser qu’à eux à tel point
qu’il est facile de leur cacher la vérité ; celle d’un monde chaotique
dominé par des sociétés industrielles surconsommatrices dont les produits
proviennent d’on-ne-sait-où fabriqués par on-ne-sait-qui.
Violet
est la seule à comprendre réellement la civilisation dans laquelle ils vivent.
Cette liberté de penser sera d’ailleurs la cause d’une injustice (Fahrenheit 451, Ray Bradbury et 1984,
Georges Orwell) : son profil de consommatrice n’est pas rentable,
c’est pourquoi les industries refuseront de dépenser de l’argent afin de la
sauver (pp. 217 – 244).
Anderson,
auteur américain actuel, présente une anticipation de sa propre société :
une république aux allures utopiques qui se transforme progressivement et
légèrement en anti-utopie contemporaine. Elle reflète parfaitement ses défauts actuels :
la communication et le plaisir immédiats à la seule différence que nous n’avons
pas encore développé cette technologie. Nous pourrions simplement remplacer
l’Interface par notre téléphone portable, notre ordinateur et notre télévision.
La publicité travaille constamment sur les besoins du consommateur et ses
différents profils à travers un recueil d’informations quelquefois douteux. Ce professeur de création littéraire a construit
de toutes pièces un monde dystopique – du point de vue de Violet - qui
permettrait à ses jeunes lecteurs de découvrir la fasse cachée de notre
société : les conséquences d’une économie capitaliste qui conditionne la
population à consommer davantage sans se soucier des retombées écologiques et
sociales d’un tel fonctionnement. Finalement, cet ancien éditeur de la jeunesse
a parfaitement réussi à cerner ce genre littéraire et à le rendre accessible
pour les jeunes, les bâtisseurs du monde de demain.
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